J'avais la vie de château
Une armée de valets
Un chauffeur, trois autos
Des joyaux, des complets
Des chevaux, des tableaux
À ne savoir qu'en faire
Mais à crier : << Banco ! >>
Et jouer un jeu d'enfer
J'ai tout laissé sur les tapis verts
Un par un
J'ai vu tout s'envoler
Un par un
Mes Renoir, mes Derain
Mes meubles et mes tapis
Un par un
On a tout emporté
Un par un
Ne me laissant plus rien
Que mes yeux pour pleurer
Et un lit
J'avais de nombreux amis
Pleins d'entrain et d'humour
Qui buvaient mon whisky
Et qui formaient ma cour
Et me tapaient parfois
Pour ne pas dire souvent
Vers le trente du mois
Quand momentanément
Ils se trouvaient un peu à court d'argent
Un par un
Ils se sont paniqués
Un par un
En prétextant soudain
Quelque raison futile
Un par un ils se sont dispersés
Un par un
Sans me serrer la main
Tels les rats d'un navire
En péril
Une danseuse classique
Une actrice connue
Deux ou trois hystériques
Et quelques ingénues
Me trouvaient merveilleux
Et plongeaient dans mes draps
En jurant leurs grands dieux
Qu'elles n'aimaient que moi
Et puis les diamants de vingt carats
Un par un
J'ai perdu mes pouvoirs
Un par un
Sur leurs cœurs, sur leurs seins
Rehaussés de bijoux
Un par un
J'ai fumé mes déboires
Un par un
Et j'ai compris enfin
Mais hélas un peu tard
Pauvre fou
Pauvre fou, pauvre fou